Luxe et conflits d’intérêts : la Spedidam soupçonnée de spolier les artistes

Dans un cinglant rapport rendu mardi, l’organisme de gestion des droits des artistes interprètes est accusé de conflit d’intérêt, de favoritisme et de spoliation dans sa redistribution. Des faits qui pourraient constituer des infractions pénales.

La Spedidam se retrouve sévèrement épinglée pour sa gestion par une entité rattachée à la Cour des comptes.

La Spedidam se retrouve sévèrement épinglée pour sa gestion par une entité rattachée à la Cour des comptes. Photo Martin Noda / Hans Lucas via AFP

Par Jean-Baptiste Roch

Publié le 08 juin 2022 à 11h10

Mis à jour le 24 juin 2022 à 16h02

[NDLR : un droit de réponse demandé par la Spedidam a été ajouté à la suite de cet article en date du 24 juin 2022] C’est une sacrée bombe dans le milieu culturel. Et la confirmation, en partie, de rumeurs qui couraient avec insistance depuis des années, à propos de certains organismes de gestion collective (OGC). La Société de perception et de distribution des droits voisins, qui collecte et distribue les droits d’artistes interprètes pour la diffusion secondaire d’une œuvre à la télévision, à la radio, au cinéma ou sur Internet, vient d’être sévèrement épinglée pour sa gestion par une entité rattachée à la Cour des comptes.

Dans son rapport annuel publié mardi 7 juin, la commission de contrôle des organismes de gestion des droits d’auteur et des droits voisins a procédé à l’étude approfondie des comptes et de la gestion de la Spedidam, parallèlement à ceux de l’Adami, autre entité chargée de collecter les droits des artistes interprètes en France. Si cette dernière est épargnée par les conclusions du rapport, la Spedidam, elle, est accusée de faillir « dans l’accomplissement de ses deux principales missions. » À savoir : la collecte des droits voisins et leur redistribution aux artistes interprètes. Des manquements tels que la commission a même transmis au procureur de la République les conclusions de son audit, susceptibles de poursuites au pénal.

Plus collecteurs que redistributeurs

Créée en 1959 pour permettre aux artistes interprètes d’exercer selon ses termes un « contrôle sur les utilisations secondaires de leurs interprétations enregistrées et de percevoir des rémunérations complémentaires pour ces utilisations (enregistrements diffusés dans des spectacles, disques sonorisant des films…) », la Spedidam collecte et redistribue chaque année les droits de trente-huit mille sept cents ayants droit, qu’ils soient chanteurs, musiciens, danseurs, comédiens, artistes de variété (magiciens, jongleurs, humoristes, etc.), ou encore circassiens. Comme d’autres sociétés de gestion des droits, elle était régulièrement accusée de mener grand train, entre locaux luxueux et fêtes fastueuses, qui tranchent avec la précarité de ses artistes affiliés et ses missions de service public.

La commission de contrôle, présidée par un magistrat de la Cour des comptes, précise dans son rapport de deux cents pages, que sur les 56 millions d’euros perçus annuellement par la Spedidam, les insuffisances relevées « ne permettent pas d’assurer que les artistes interprètes perçoivent régulièrement les droits qui leur sont dus. » En tête des griefs mentionnés depuis des années, sans que rien ne change en son sein, des conflits d’intérêts dans la composition des commissions d’attribution d’aides, visant notamment certains membres de la direction.

Démissions et vent de panique

Comme le rapporte une enquête de Blast publiée le jour même de la parution du rapport, François Nowak, directeur de l’organisation depuis 2012, codirige plusieurs associations organisatrices de festivals, que la Spedidam aide financièrement chaque année. Et empocherait donc personnellement une partie des aides qu’il contribue à délivrer…

Mise au parfum des conclusions partielles de l’enquête en novembre, la Spedidam fait face à un vent de panique en interne et a déjà enregistré six démissions au sein de son conseil de surveillance et de son conseil d’administration. Un début de cataclysme, à la hauteur des accusations de favoritisme et des soupçons de spoliation des artistes portés par la commission de contrôle. Laquelle a émis trente-cinq recommandations dont la Cour des comptes jugera de la mise en œuvre dès l’automne 2022. D’ici là, la justice pourrait s’emparer du dossier.

Droit de réponse de la Spedidam (publié le 24 juin 2022)

Dans un article intitulé « Luxe et conflits d’intérêts : la Spedidam soupçonnée de spolier les artistes », Télérama met en cause nommément la Spedidam et son président, M. François Nowak, sous couverts d’observations formulées dans le rapport public annuel de la Commission de contrôle des organismes de gestion des droits d’auteur et des droits voisins.

L’article prétend que le rapport de la Commission de contrôle accuserait la Spedidam de « spolier » les artistes-interprètes, mot qui n’est jamais utilisé par la Commission et qui relève donc de l’unique appréciation de son auteur.

Or, si la Commission critique certains processus et outils utilisés pour réaliser la répartition - qui sont toujours perfectibles - elle n’indique nullement que les sommes dues aux artistes-interprètes ne seraient pas réparties.

Il est particulièrement étonnant que l’article prétende que « [la Spedidam] était régulièrement accusée de mener grand train, entre locaux luxueux et fêtes fastueuses », alors que ces mots n’apparaissent ni dans le rapport de la Commission, ni dans dans le lien URL auquel renvoie l’article.

L’article prétend également que « Francois Nowak, directeur de l’organisation depuis 2012, codirige plusieurs associations organisatrices de festivals, que la Spedidam aide financièrement chaque année. Et empocherait donc personnellement une partie des aides qu’il contribue à délivrer ». Certe affirmation est fausse.

Si Monsieur François Nowak a été vice-président d’associations organisatrices de certains festivals, il a démissionné en 2019 de ses mandats. En tout état de cause, les sommes attribuées par la Spedidam l’ont été aux structures demanderesses d’aide, et non à Monsieur François Nowak « personnellement ».

Enfin, l’article prétend que le rapport de la Commission de contrôle aurait causé un « vent de panique en interne » qui aurait mené à « six démissions au sein du conseil de surveillance et de son conseil d’administration ». Ces démissions ne sont pas dues à un « vent de panique », mais témoignent au contraire de la mise en oeuvre immédiate par la Spedidam et son équipe dirigeante des recommandations préconisées par la Commission de contrôle.

Ces recommandations nécessitent, pour être mises en oeuvre, une modification des statuts et/ou du règlement général de la Spedidam, qui ne pourront être adoptées qu’à l’issue d’un vote aux prochaines assemblées générales extraordinaires et ordinaires qui doivent avoir lieu le 23 juin 2022.

Dans cette attente, les personnes potentiellement concernées par ces modifications ont d’elles-mêmes pris la décision de démissionner avant même l’entrée en vigueur des nouvelles règles.

A ce titre, l’ensemble des recommandations de la Commission seront mises en oeuvre dans les meilleurs délais, étant précisé que seize d’entre elles avaient déjà été mises en oeuvre au moment de la publication du rapport ou étaient en cours de mise oeuvre.

Dès lors que cela était possible, les recommandations ont été appliquées immédiatement.

La Spedidam ne peut donc que s’étonner de la teneur de l’article de Télérama, alors que l’ensemble des éléments rappelés ci-dessus figuraient dans la réponse de la Spedidam à la Commission, laquelle est annexée au rapport sur lequel l’article prétend prendre appui.

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